Je souhaite aujourd’hui vous révéler le lourd secret que j’ai longtemps porté. Je suis ENFIN disposée à m’en débarrasser. Ce secret, avec 3 millions de français1, je dois malheureusement le partager. Pendant de longues années, j’ai dû ruser pour qu’il soit bien gardé. De peur d’être moquée, jugée ou peut-être même reniée, je n’ai jamais osé parler.
Derrière des tas d’excuses bidons, je n’ai cessé de me réfugier. Mes binocles, j’ai très souvent prétendu les avoir cassées ou simplement oubliées. Au fond de la classe, on m’a systématiquement reléguée. Mes camarades et professeurs m’ont humiliée et dénigrée.
Ils m’ont traitée d’abrutie, considérée comme une con finie. Tous ont fait de ma vie d’écolière un véritable enfer. Sur les hautes étagères de ma chambre à coucher, de très beaux livres étaient correctement alignés. Chaque soir, blottie sous ma couette, à la lueur de ma lampe électrique, j’ai compté les mots et lutté pour les déchiffrer.
J’ai tout fait pour y parvenir mais quelque chose en moi semblait bloqué. Le temps a passé, j’ai grandi et mûri sans pour autant être soulagée. Au quotidien, les choses se sont très nettement compliquées. Mes déplacements étaient très limités.
Les panneaux indicateurs ne m’étaient d’aucune utilité . Pour espérer conduire ou encore me ravitailler au supermarché, je ne compte plus les symboles, images et emballages que j’ai dû mémoriser. A de nombreuses reprises, ma pauvre petite tête a manqué d’exploser. Fidèle à moi-même , je me suis pourtant accrochée… Mon boss a gentiment accepté de m’embaucher mais ne s’est jamais gêné pour abuser de ma particularité.
Un beau matin d’été, j’ai voulu sortir de l’ombre pour exister. Pour cause : ma fille unique est née. J’ai décidé de mieux comprendre le monde dans lequel elle allait évoluer. Pour cette petite princesse, j’ai trouvé la force et le courage de changer. Pour lui offrir la vie rêvée, j’ai voulu tout tenter.
A la porte de mots et merveilles2, j’ai timidement frappé. Une équipe de bénévoles investis et surmotivés a accepté de m’aider. Tous m’ont énormément soutenue et encouragée. A leur contact, j’ai très vite progressé. Pour former des syllabes, voyelles et consonnes se sont associées.
Sur le papier, les mots se sont couchés, les phrases se sont enchaînées. Je me suis battue sans jamais rien lâcher. Je n’ai rien à regretter. Vous l’aurez compris : je suis une ancienne illettrée. Mon handicap invisible m’a longtemps torturée. Dans une grande prison intellectuelle, il m’a enfermée. Je l’ai finalement neutralisé. Pour toujours, je suis délivrée. Je suis fière de lire les livres que je compte bientôt dévorer. Je savoure le goût sucré de la liberté retrouvée...
1Sans doute revu à la baisse, ce chiffre nous est communiqué par l’Agence Nationale de Lutte Contre l’Illettrisme.
2Il s’agit d’une association de lutte contre illettrisme très fréquentée. Je me dois de la citer mais n’oublie pas de remercier l’ensemble des bénévoles qui œuvrent partout en France !